Sur les réseaux sociaux, Carelle Laeticia Goli se distingue par une attitude audacieuse, souvent provocatrice, qui n’hésite pas à bousculer les conventions et à défier les esprits conservateurs. Que ce soit en matière de religion, de culture ou de normes sociales, elle n’a pas peur de choquer, toujours avec un humour désarmant et une insouciance détendue. Pourtant, derrière cette façade exubérante, Madame Goli révèle une tout autre facette dans son environnement professionnel. Là, on découvre une travailleuse rigoureuse et sérieuse, respectée par ses pairs et qui ne cesse de gravir les échelons, tant en Côte d’Ivoire qu’à l’international. Une constante, cependant, traverse toutes ses initiatives : son engagement indéfectible pour l’égalité des droits. Féministe convaincue, Carelle Laeticia Goli cumule les rôles avec succès. De professeure d’université au Canada à fondatrice de l’ORAF, en passant par son rôle de consultante dans plusieurs projets des Nations unies, elle incarne une femme libre et déterminée, prête à repousser toutes les limites pour faire avancer sa cause!
De jeune étudiante en droit à une figure de référence en Côte d’Ivoire et à l’international, pouvez vous nous relater les défis et les sources de motivation qui ont jalonné votre parcours ?
Je pense que les plus grands défis concernent l’apprentissage et la discipline. Quitter un contexte purement national et atterrir dans ce challenge nécessite une capacité ou une volonté de constamment apprendre et de progresser rapidement. Par ailleurs, le travail que l’on fait est soumis à une obligation de constantes mises à jour et d’adaptation qui peuvent être un obstacle et un défi pour qui n’est pas prêt.
Qu’est ce qui vous a motivé a militer pour l’égalité des droits et le féminisme radical ? En quoi se courant répond aux besoins de la CI et de l’Afrique ?
Bon je ne suis pas féministe radicale. Mais plutôt intersectionnelle. Par ailleurs si pour radical vous considérez de ne pas négocier l’égalité ou les droits humains oui je le suis. Mais féministe radicale est un courant spécifique dont je ne partage pas toutes les convictions. Notamment le fait quil fasse fi des intersections entre les différentes catégories de personnes opprimées par un même système. Mes motivations sont que je suis un produit de la société civile et de la justice sociale.
Je pense aussi que les droits humains sont au cœur de toutes les actions démocratiques et que malheureusement cette approche manque considérablement. Alors, oui c’est un besoin non seulement en Afrique et partout ailleurs. Défendre les droits des femmes ne peut se départir de notre envie de voir une société avec d’autres valeurs et paradigmes.
Qu’est ce qui a prévalu la création de l’ORAF et quelles sont les actions menées par cette organisations et ses perspectives sur le féminisme ?
Je pense que l’Organisation pour la réflexion et l’action féministe (ORAF) est née de la volonté d’avoir un instrument dirigé par des femmes, qui se positionne sur des pistes de réflexion et qui pose des problématiques en vue de faire avancer l’agenda féministe. L’idée est toujours de construire un mouvement purement intellectuel et de faire émerger l’intelligentsia féminine de notre continent. ORAF est un labo, un outil de transmission et de transformation des femmes. Nos perspectives est de développer des plaidoyers. De créer des militantes outillées et capacitées et de créer le pont entre la tripartite OSC, acteurs gouvernementaux et communautés internationales. Nous devons produire et donner le plus de réflexions possibles.
Pourquoi une communication jugée « provocante » et emprunte d’humour sur les réseaux sociaux?
Carelle Laetitia reste la femme ivoirienne qui a le droit d’être multiple. J’ai ce credo de décomplexer l’intellectuelle. Vous ne pouvez pas vouloir que des gens qui ne s’identifient pas a vous vous écoutent. Le défaut des intellectuels, c’est qu’ils sont une élite. Je ne suis pas une élite. Je suis une femme qui vit dans une société et qui ne veut ni se dénaturer, ni perdre son authenticité. Par ailleurs, je tourne en dérision le patriarcat et ça aide les femmes à en faire autant. L’humour est une arme inconsidérée. Et le patriarcat a longtemps fait cela avec nous.
Comment faites-vous pour assurer la gestion d’une image publique « fofolle » et une image professionnelle « posée » sans perdre votre crédibilité ?
Ma chance est d’avoir eu “mon personnage » avant mes responsabilités. Mais jai toujours montré aussi mes travaux. Je parle de sujets sensibles et sérieux, j’informe… Et ça donne une crédibilité. L’un ne va pas sans l’autre. Il ne s’agit pas de distraire mais d’être accessible et comme j’ai dis, authentique. Enfin, j’ai des résultats professionnels intéressants je pense et je remplis mes obligations. Par ailleurs, il y’a des limites que je ne franchis pas éthiquement.
Avez-vous déjà subi des menaces ou autres attaques ? Si oui, lesquelles ?
Oui, en général ce sont des injures ou attaques personnelles sur ma condition de femme. Certaines personnes essaient aussi de mettre en doute mes expertises ou de prétendre que je profite du féminisme.
Qu’est de qui vous donne autant d’energies pour surmonter toutes ces difficultés ?
Beaucoup de femmes me donnent la force de continuer en me soutenant et en m’encourageant. Les avancées sociales et juridiques nous motivent. Il y’a une nouvelle volonté des femmes de s’émanciper et elles sont affirmatives. Ma fille reste une source de motivation extraordinaire.
Quelles sont les figures féministes ou des mentors qui vous ont particulièrement inspiré dans votre parcours ?
Ma mère, des femmes qui ont mené des luttes partout, il y en a énormément et de toutes sortes,Constance Yai, Georgette Zamblé, Rose Guiraud, Myriam Makeba, Halimi Gisèle… Toutes les femmes m’inspirent en général. Les femmes rurales ou dans l’informel. Des hommes m’ont aussi aidée et mentorée, je dirai Magloire N’dehi.
Vous abordez souvent des sujets sensibles comme la religion et la culture, en allant parfois à contre-courant des normes établies. Quelles sont les raisons qui vous poussent à aborder ces thèmes ?
La religion est l’un des plus grands vecteurs des normes de genres péjoratives et le divin est aussi la justification d’un ordre établissant la femme comme inférieure ou devant accepter une situation de cet ordre.
Quels sont, selon vous, les liens entre la religion, la culture, et la lutte pour l’égalité des droits des femmes ?
La religion prend énormément de pratiques dans la culture qui elle est créatrice de discrimination sociétales du fait de la société qui l’a créée. J’appelle cela le couple religion-tradition qui est un plafond de verre pour les femmes. La culture est fondamentale, séculaire et transforme les dynamiques sociales mais aussi les normes d’éducation. La religion aussi est une sphère de socialisation et va sceller tout cela dans le sacré. Les mythes religieux de création du monde sont révélateurs, la femme provient très souvent de l’homme. L’égalité vient être une entorse à ces règles et va très souvent se heurter au couple religion-tradition ou religion-culture.
Comment la société ivoirienne et africaine évoluent sur les questions de genre et de culture ?
La société se libère à son rythme. Elle prend le temps qu’il faut, elle crée les générations qui au fil du temps vont créer une autre culture. Par ailleurs, elle reste aussi réfractaire et oppressante souvent régressive. C’est pour cela qu’il faut continuer et ne pas s’arrêter. Le genre est dynamique et les normes vont évoluer, d’ailleurs les rôles ont subi une transformation.
Quels sont vos projets et votre plus grand rêve au plan professionnel et personnel ?
Mon plus grand rêve, c’est de créer un cabinet de consultance avec des compétences féminines avérées. Pour ORAF, je reve d’une autre génération qui engage cette vision dans 10 ans.
Au plan personnel, je reve de voir ma fille grandir et s’émanciper. Passer du temps avec elle.
En tant que féministe et militante, quel héritage souhaitez-vous laisser aux générations futures ?
Une société libre (?) Mais aussi une histoire, celle d’autres femmes avant elles et des voies ouvertes pour elles. Que chaque génération de femmes n’ait pas à recommencer incessamment, mais qu’elle continue sur d’autres fronts.
Aminata SANOU